Interpréter le récit biblique de la ligature d’Isaac à partir des trois niveaux de relation

Consigne :

Analyse ce texte en y repérant comment on peut y retrouver les trois niveaux de relation (arbitraire – contractuelle – amicale/gracieuse). Explique bien pourquoi tu repères tel ou tel type possible de relation dans le texte (un même passage peut être interprétable de plusieurs façons, bien entendu : n’hésite pas à le montrer).

Contexte :

tout à la fin de sa vie, Abraham a enfin vu la promesse de Dieu se réaliser : Sarah, sa femme, malgré qu’elle était vieille, a accouché de son fils : Issac)

 

Après ces événements, Dieu mit Abraham à l’épreuve. Il lui dit : « Abraham ! » Celui-ci répondit : « Me voici ! » Dieu dit : « Prends ton fils, ton unique, celui que tu aimes, Isaac, va au pays de Moriah, et là tu l’offriras en holocauste sur la montagne que je t’indiquerai. » Abraham se leva de bon matin, sella son âne, et prit avec lui deux de ses serviteurs et son fils Isaac. Il fendit le bois pour l’holocauste, et se mit en route vers l’endroit que Dieu lui avait indiqué.

Le troisième jour, Abraham, levant les yeux, vit l’endroit de loin. Abraham dit à ses serviteurs : « Restez ici avec l’âne. Moi et le garçon nous irons jusque là-bas pour adorer, puis nous reviendrons vers vous. » Abraham prit le bois pour l’holocauste et le chargea sur son fils Isaac ; il prit le feu et le couteau, et tous deux s’en allèrent ensemble. Isaac dit à son père Abraham : « Mon père ! – Eh bien, mon fils ? » Isaac reprit : « Voilà le feu et le bois, mais où est l’agneau pour l’holocauste ? » Abraham répondit : « Dieu saura bien trouver l’agneau pour l’holocauste, mon fils. »

Et ils s’en allaient tous les deux ensemble. Ils arrivèrent à l’endroit que Dieu avait indiqué. Abraham y bâtit l’autel et disposa le bois ; puis il lia son fils Isaac et le mit sur l’autel, par-dessus le bois. Abraham étendit la main et saisit le couteau pour immoler son fils.

Mais l’ange du Seigneur l’appela du haut du ciel et dit : « Abraham ! Abraham ! » Il répondit : « Me voici ! » L’ange lui dit : « Ne porte pas la main sur le garçon ! Ne lui fais aucun mal ! Je sais maintenant que tu crains Dieu : tu ne m’as pas refusé ton fils, ton unique. » Abraham leva les yeux et vit un bélier retenu par les cornes dans un buisson. Il alla prendre le bélier et l’offrit en holocauste à la place de son fils.

Abraham donna à ce lieu le nom de « Le-Seigneur-voit ». On l’appelle aujourd’hui : « Sur-le-mont-le-Seigneur-est-vu. » Du ciel, l’ange du Seigneur appela une seconde fois Abraham. Il déclara : « Je le jure par moi-même, oracle du Seigneur : parce que tu as fait cela, parce que tu ne m’as pas refusé ton fils, ton unique, je te comblerai de bénédictions, je rendrai ta descendance aussi nombreuse que les étoiles du ciel et que le sable au bord de la mer, et ta descendance occupera les places fortes de ses ennemis. Puisque tu as écouté ma voix, toutes les nations de la terre s’adresseront l’une à l’autre la bénédiction par le nom de ta descendance. »

Alors Abraham retourna auprès de ses serviteurs et ensemble ils se mirent en route pour Bershéba ; et Abraham y habita.

Livre de la Genèse, ch 22, verset 1-19 (2, 1-19) – Traduction liturgique catholique

La traduction du rabbinat (traduction judaïque) :

1 Il arriva, après ces faits, que Dieu éprouva Abraham. II lui dit: « Abraham! » II répondit: « Me voici. » 2 II reprit « Prends ton fils, ton fils unique, celui que tu aimes, Isaac; achemine-toi vers la terre de Moria et là offre-le en holocauste sur une montagne que je te désignerai. » 3 Abraham se leva de bonne heure, sangla son âne, emmena ses deux serviteurs et Isaac, son fils et ayant fendu le bois du sacrifice, il se mit en chemin pour le lieu que lui avait indiqué le Seigneur. 

4 Le troisième jour, Abraham, levant les yeux, aperçut l’endroit dans le lointain. 5 Abraham dit à ses serviteurs: « Tenez-vous ici avec l’âne; moi et le jeune homme nous irons jusque là-bas, nous nous prosternerons et nous reviendrons vers vous. » 6 Abraham prit le bois du sacrifice, le chargea sur Isaac son fils, prit en main le feu et le couteau et ils allèrent tous deux ensemble. 7 Isaac, s’adressant à Abraham son père, dit « Mon père! » Il répondit: « Me voici mon fils. » II reprit: « Voici le feu et le bois, mais où est l’agneau de l’holocauste? » 8 Abraham répondit: « Dieu choisira lui-même l’agneau de l’holocauste mon fils ! »

Et ils allèrent tous deux ensemble. 9 Ils arrivèrent à l’endroit que Dieu lui avait indiqué. Abraham y construisit un autel, disposa le bois, lia Isaac son fils et le plaça sur l’autel, par-dessus le bois. 10 Abraham étendit la main et saisit le couteau pour immoler son fils. 

11 Mais un envoyé du Seigneur l’appela du haut du ciel, en disant: « Abraham! . Abraham! » 12 II répondit: « Me voici. » II reprit: « Ne porte pas la main sur ce jeune homme, ne lui fais aucun mal! car, désormais, j’ai constaté que tu honores Dieu, toi qui ne m’as pas refusé ton fils, ton fils unique! » 13 Abraham, levant les yeux, remarqua qu’un bélier, derrière lui, s’était embarrassé les cornes dans un buisson. Abraham alla prendre ce bélier et l’offrit en holocauste à la place de son fils. 

14 Abraham dénomma cet endroit: Adonaï-Yiré; d’où l’on dit aujourd’hui: »Sur le mont d’Adônaï-Yéraé. » 15 L’envoyé de l’Éternel appela une seconde fois Abraham du haut du ciel, 16 et dit: « Je jure par moi-même, a dit l’Éternel, que parce que tu as agi ainsi, parce que tu n’as point épargné ton enfant, ton fils unique, 17 je te comblerai de mes faveurs; je multiplierai ta race comme les étoiles du ciel et comme le sable du rivage de la mer et ta postérité conquerra les portes de ses ennemis. 18 Et toutes les nations de la terre s’estimeront heureuses par ta postérité, en récompense de ce que tu as obéi à ma voix. »

19 Abraham retourna vers ses serviteurs; ils se remirent en route ensemble pour Beer Shava, où Abraham continua d’habiter.

Commentaire de Rachi

Rachi est un rabbin français qui a vécu à Troye au 11ème siècle. Il est considéré comme l’un des plus grand commentateurs de la Torah.

Verset 1

Après ces choses-làCertains de nos maîtres ont enseigné : Les « choses » (devarim – littéralement: « paroles ») après lesquelles se sont passés les événements qui vont suivre, ce sont les « paroles » du Satan qui a porté accusation contre Avraham en disant : « Au cours de tous les festins qu’a faits Avraham, il ne t’a pas offert un seul taureau ou un seul bélier ». Dieu lui dit : « Il n’a fait cela que pour son fils. Si je lui disais : “Offre-le-moi en sacrifice !”, il le ferait sans tergiverser ! ». D’autres ont enseigné : « Après les “paroles” » de Yichma‘el qui se glorifiait aux dépens de Yits‘haq de s’être fait circoncire à l’âge de treize ans sans se rebiffer. Yits‘haq lui dit : « Tu crois pouvoir m’en imposer à cause de la perte d’une petite partie de ton corps ! Si le Saint béni soit-Il me disait : “Offre-toi en sacrifice pour moi !”, je le ferais sans barguigner » (Sanhèdrin 89b et Beréchith raba 55, 4).

Me voici – C’est ainsi que répondent les gens pieux, en signe d’humilité et pour indiquer qu’ils sont prêts (Midrach tan‘houma Wayéra 22).

Verset 2

Prends s’il te plaît – Le mot na (« s’il te plaît ») signifie toujours une imploration. Dieu lui a dit : « Surmonte encore, je t’en supplie, la présente épreuve, afin que l’on ne dise pas que les précédentes étaient sans signification ! »

Ton fils – Avraham a répondu : « J’ai deux fils ! ». Dieu a poursuivi : « Ton fils unique ! » – « Celui-ci est le fils unique de sa mère, celui-là aussi ! » – « Celui que tu aimes ! » – « Je les aime tous les deux ! » – « Yits‘haq ! ». Et pourquoi Dieu ne le lui a-t-Il pas révélé d’emblée ? Afin de ne pas l’accabler par un choc brutal, et aussi afin de lui rendre la mitswa plus chère et lui procurer une récompense pour chacune de ses réponses successives (Beréchith raba 55, 7).

Au pays de Moria – A savoir Jérusalem. Ainsi : « A bâtir la maison de Hachem à Jérusalem, sur le Mont Moria » (II Divrei haYamim 3, 1). Et nos rabbins ont expliqué que c’est de là qu’est venu l’enseignement (horaa) pour Israël (Ta‘anith 16a, Beréchith raba 55, 7). Quant au Targoum Onqelos, il traduit l’expression par : « le pays du culte », à savoir le culte de l’encens lequel faisait appel à la myrrhe (mor), au nard et à d’autres plantes aromatiques.

Et fais-le monter – Il ne lui a pas dit : « et immole-le », car le Saint béni soit-Il ne voulait pas qu’il l’égorge, mais seulement qu’il le fasse « monter » sur la montagne pour en faire une offrande. Et après qu’il l’aurait fait monter, Il lui dirait : « Fais-le descendre ! ».

Une des montagnes – Le Saint béni soit-Il commence par laisser les justes dans l’incertitude, ne leur faisant connaître que plus tard la vérité. Tout cela pour accroître leur mérite, comme dans : « vers le pays que je te montrerai » (supra 12, 1), ou dans : « et fais-y la publication que je te dicterai » (Yona 3, 2 -Beréchith raba 55, 7).

Verset 3

Il se leva de bon matin – Dans son zèle à accomplir la mitswa (Pessa‘him 4a). (En hébreu, mitswa signifie « précepte », « commandement »)

Il sangla – Lui-même, et sans en charger aucun de ses serviteurs, car l’amour abolit les privilèges du rang hiérarchique (Beréchith raba 55, 8).

Ses deux jeunes hommes – Yichma‘el et Eli’èzer, parce qu’un homme distingué ne doit pas sortir de chez lui sans une escorte de deux personnes (Wayiqra raba 36, 7, Pirqé deRabi Eli‘èzèr 31). Si l’une d’elles a besoin de satisfaire un besoin naturel, l’autre restera auprès de lui (Midrach tan‘houma Balaq 8).

Il fendit – Le Targoum traduit par le verbe tsala‘h, comme dans : « Et il ses fendirent (tsal’hou) le Yardén » (II Chemouel 19, 18). En français : « fendre ».

Verset 4

Le troisième jour – Pourquoi a-t-Il tardé à le lui montrer au lieu de le faire tout de suite ? Afin qu’on ne dise pas qu’Il l’a surpris et troublé en l’y amenant soudainement, tandis que si on lui avait laissé le temps d’y réfléchir, il ne l’aurait pas fait (Midrach tan‘houma Wayéra 22).

Il vit l’endroit – Il a vu une nuée fixée sur la montagne (Beréchith raba 56, 1, Midrach tan‘houma Wayéra 23).

Verset 5

Jusque là – C’est-à-dire : un court trajet jusqu’à l’endroit qui est devant nous. Et le midrach explique ainsi qu’il suit l’emploi du mot ko (« là-bas ») : je veux voir ce qu’il en sera de la promesse que m’a faite Dieu. « Ainsi (ko) sera ta descendance » (supra 15, 5, Beréchith raba 56, 2).

Et nous reviendrons – Il a prophétisé qu’ils reviendraient tous les deux (Mo‘èd qatan 18a).

Verset 6

Le couteau – Appelé maakhèlèth parce qu’il dévore (okhél) la chair, comme dans : « et mon glaive dévorera (thokhal) la chair » (Devarim 32, 42). Il rend également la viande apte à « être mangée » (Beréchith raba 56, 3). Autre explication : ce couteau est appelé maakhèlèth parce qu’Israël « mangera » le fruit de cette offrande (ibid.).

Ils allèrent tous deux ensemble – Avraham, qui savait qu’il allait immoler son fils, marchait avec autant de bon vouloir et de joie que Yits‘haq, lequel ne soupçonnait rien.

Verset 8

 

Eloqim choisira lui-même l’agneau – Yireé (« choisira » ou « verra ») C’est-à-dire : « Il verra et se choisira l’agneau ». Et s’il n’y a pas d’agneau…

… Pour l’holocauste, mon fils – C’est mon fils qui sera l’holocauste. Et bien que Yits‘haq ait compris qu’il allait être immolé…

… Ils allèrent tous deux ensemble – D’un même cœur.

Verset 9

Il lia – Ses pieds et ses mains en arrière, les quatre membres étant attachés ensemble. C’est là le véritable sens du mot ‘aqéda (« ligotage ») (Chabath 54a). C’est aussi ce que veut dire le mot ‘aqoudim dans : « engendra des “marquetés” » (infra 30, 39), pour souligner que c’est par l’endroit où on les « attache » qu’on les reconnaîtra.

Verset 11

Avraham ! Avraham ! – Dieu, en l’appelant deux fois par son nom, lui témoigne Son amour.

Verset 12

N’étends pas – Pour égorger. Avraham dit alors à Dieu (Beréchith raba 56, 7) : « S’il en est ainsi, je serai venu ici pour rien ! Je vais lui causer au moins une blessure légère pour en faire sortir un peu de sang ! » Dieu lui a répondu…

… Ne lui fais rien (meouma) – Ne lui inflige aucun défaut (moum).

Car je sais maintenant – Rabi Abba a enseigné (Beréchith raba 56, 8) : Avraham a dit à Dieu : « Laisse-moi t’exposer mes doléances ! Hier tu m’as dit : “ car c’est dans Yits‘haq que l’on appellera ta descendance” (supra 21, 12). Ensuite tu m’as dit : “prends s’il te plaît ton fils” (supra 22, 2). Et maintenant tu me dis : “ne porte pas la main sur ce jeune homme” ! ». Le Saint béni soit-Il lui a répondu : « Je ne trahirai pas mon alliance, et ce qu’énoncent mes lèvres, je ne le changerai pas ! (Tehilim 89, 35). Quand je t’ai dit : “prends !”, je n’ai pas changé ce qu’énonçaient mes lèvres. Je ne t’ai pas dit : “égorge-le !”, mais : “fais-le monter !” Tu viens de le faire. A présent, fais-le descendre ! ».

Car je sais maintenant – Je sais désormais ce que je devrai répondre au Satan et aux nations qui s’étonneront de l’amour que je te porte. La raison que je donnerai est qu’ils voient « que tu crains Eloqim » (Midrach tan‘houma Wayéra 46).

Verset 13

Et voici qu’un bélier – Il était disposé pour cela depuis les six jours de la création (Avoth 5, 6).

Derrière lui (a‘har – littéralement : « après ») – « Après » que l’ange lui eut dit : « ne porte pas la main », il aperçut le bélier embarrassé dans le buisson. C’est la traduction du Targoum : Avraham leva les yeux « après cela ».

A un buisson – A un arbre.

Les cornes – Comme il courait vers Avraham, le Satan l’a fait s’embarrasser dans les branches pour l’en empêcher (Pirqé deRabi Eli‘èzèr 31).

A la place de son fils – Puisqu’il est déjà écrit : « il l’offrit en holocauste », il ne manque rien au verset. Que signifie l’ajout : « à la place de son fils » ? Pour chaque geste rituel qu’il accomplissait, Avraham priait ainsi : « Que ce soit ta volonté que mon acte soit compté comme s’il avait été fait sur mon fils, comme si mon fils avait été immolé, comme si son sang avait été répandu, comme s’il avait été dépecé, comme s’il avait été brûlé sur l’autel et réduit en cendres. » (Beréchith raba 56, 9).

Verset 14

Hachem verra – Le sens est celui donné par le Targoum : Dieu choisira et considérera pour Lui cet endroit pour y faire résider Sa chekhina et pour y faire offrir des sacrifices.

Comme l’on dit aujourd’hui – Dont on dira dans les générations à venir : c’est sur cette montagne que le Saint bénit Soit-Il apparaît à Son peuple.

Aujourd’hui – Les temps à venir, comme « jusqu’à ce jour » que l’on trouve souvent dans le texte. Afin que toutes les générations futures qui liront ces textes, disent : « jusqu’à ce jour » c’est-à-dire « le jour où nous sommes ». Explication du midrach : Dieu prendra chaque année en considération le sacrifice de Yits‘haq pour pardonner à Israël et lui épargner les châtiments. C’est ainsi que l’on dira dans les générations à venir : « Aujourd’hui Dieu apparaît sur la montagne ! » La cendre de Yits‘haq y est entassée et sert à l’expiation de nos fautes (Midrach tan‘houma Wayéra 23).

Verset 17

Je te bénirai abondamment (varèkh avarèkhekha – littéralement : « bénir, je te bénirai ») – Une fois pour le père et une autre pour le fils (Beréchith raba 56, 11).

Et je multiplierai à profusion (waharba arbè – littéralement : « multiplier, je multiplierai ») – Une fois pour le père et une autre pour le fils (ibid.).

Verset 19

Avraham s’installa à Beér Chèva’ – Il ne s’y est pas vraiment installé, puisqu’il s’était établi à ‘Hèvron, venant de Beér Chèva’, douze ans avant le sacrifice de Yits‘haq, ainsi qu’il est écrit : « Avraham séjourna dans le pays des Plichtim de nombreux jours » (supra 21, 34), c’est-à-dire plus nombreux que ceux passés à ‘Hèvron, soit vingt-six ans, ainsi que nous l’avons expliqué plus haut.

Huile sur toile du Caravage, 1603 (conservée à Florence)

Une page sur le tableau du Caravage (104 cm X 135 cm) et quelques autres tableaux


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