Comment lire l’action de Dieu dans la Bible : en incriminant ? en discriminant ?

Il est toujours aisé d’incriminer… La fameuse phrase : donnez-moi deux lignes de quiconque et je le fais pendre… Mais même en prenant tout, il est aisé de choisir un point de vue calomniateur…

Incriminer…

Incriminer : du latin in-criminare = « mettre dans le crime », « accuser d’un crime », « déclarer criminel ». Le « crimen » en latin est le « point de séparation ».

Partons du récit de Caïn et Abel et cherchons le coupable. À première vue, le méchant, c’est Caïn. Mais le démon de l’incrimination nous suggèrera rapidement ses insinuations : Abel est-il nécessairement blanc ? Yhwh a accepté son offrande, peut-être a-t-il fait le malin — et cette manière qu’il a eue, qui sait, de flatter Dieu, de doubler son frère ? etc. Abel n’est pas nécessairement tout blanc dans cette histoire…

Et puis, très vite, l’accusation se tournera vers Dieu : c’est quoi cette préférence pour Abel, ce favoritisme ? Il « agrée » l’offrande d’Abel et non celle de Caïn. N’est-ce pas Dieu qui finalement est coupable de la réaction de Caïn ? …. lecture incriminante : c’est la faute à Dieu.

Discriminer… Désincriminer

Discriminer : séparer, distinguer.

Mais pas nécessairement distinguer négativement. La lecture discriminante peut être une lecture qui innocente qui sépare du « crime » dont quelqu’un est accusé :

Traiter différemment, faire une différence, est-ce nécessairement exprimer une préférence ? Ne pas faire de différence, n’est-ce pas faire preuve d’indifférence ? Aujourd’hui je félicite mon cadet pour son travail (alors qu’il ne vaut pas plus que celui de mon ainé) et un autre jour, je louerai celui de mon ainé. Aujourd’hui, j’offre un jouet au petit et une autre fois un autre au grand. Je différencie ma relation à mes enfants, je « comble » séparément l’un et l’autre : ça n’a rien à voir avec de la préférence.

Et si l’ainé interprète de travers, jalouse, frappe ou tue son petit frère… est-ce ma faute ? Vous calculez, vous, chacun des dons que vous faites à vos enfants pour en donner un équivalent à tous ?

Lire selon le serpent ?

Autrement dit — et c’est la clef de lecture annoncée —, les grands récits de la Genèse (premier livre biblique) proposent toujours cette double lecture possible :

  • une lecture qui incrimine Dieu
  • une lecture qui discrimine, innocente, décriminalise Dieu

Vous retrouvez assez clairement cette clef de lecture dans le premier dialogue théologique de la Bible : le dialogue entre la femme et le serpent. N’est-ce pas le sens profond de ce récit qui ouvre l’histoire : une indication sur la manière de lire correctement la suite.

Le serpent : « Alors, Dieu a dit : Vous ne mangerez pas de tous les arbres du jardin ? » (plus tard il dira qu’il se réserve la puissance que le fruit de l’arbre défendu en question offre).

Ève : Nous pouvons manger du fruit de tous les arbres. (elle ajoute ensuite que Dieu a dit, mais dans un second temps, de ne pas manger du fruit de l’arbre sous peine de mourir)

Le serpent incrimine Dieu. Il fait croire à Ève que Dieu est un dieu pervers, jaloux de sa puissance, un dieu du non, de l’interdit. Ève discrimine Dieu en corrigeant l’ordre des choses : Dieu offre tout puis « interdit » ou « recommande » ou « signale » qu’une chose néanmoins doit être évitée : manger de l’arbre de la connaissance (pas théorique, mais expérimentale) du « bien et du mal », « du bonheur et du malheur », du « bon et du mauvais ». Dieu, pour elle, est d’abord Dieu du don, Dieu du oui, Dieu généreux qui se soucie du bien de l’homme.

La différence est subtile, mais c’est tout différent. Puis le serpent enfoncera le clou de la calomnie : Dieu, d’après lui, se réserverait la connaissance, craindrait que l’homme devienne son égal. Vraiment ? Ce n’est pas ce que dit un Évêque, saint Irénée de Lyon, au 2e siècle : Dieu s’est fait homme pour que l’homme soit fait Dieu.

Revenons à Caïn. Le serpent nous suggérera que quand même, ce dieu, il chasse Caïn, il le vire, et que ce n’est pas très paternel (lecture incriminante). Et en effet, Il le « chasse du sol fertile qui a ouvert la bouche pour recevoir le sang de son frère« . Mais vous, si votre fils tuait son frère, vous ne changeriez pas de maison ? vous ne préféreriez pas que le meurtrier qu’est devenu votre enfant puisse vivre ailleurs que dans un lieu où tout lui rappelle son crime (lecture discriminante) ? 

En outre, après que Caïn Lui a dit que le premier venu le tuera, Dieu au contraire le protège en plaçant sur lui un signe dissuasif. Il lui permet donc de se « reconstruire » comme on dirait aujourd’hui : Caïn « s’unira à sa femme, elle deviendra enceinte et mettra au monde Hénok. Il construira une ville et l’appellera du nom de son fils : Hénok.  » (Livre de la Genèse 4, 17). Caïn ne sera plus un homme des champs, mais un constructeur de ville.

Cet exercice de discrimination de Dieu nous pouvons nous y essayer sur tous ces immenses textes de la Bible.

Exercice difficile ? peut-être plus difficile en effet que la lecture incriminante qui « cherche des poux. » Souvent notre premier réflexe…


Les textes :

L’homme s’unit à Ève, sa femme : elle devint enceinte, et elle mit au monde Caïn. Elle dit alors : « J’ai acquis un homme avec l’aide du Seigneur ! » Dans la suite, elle mit au monde Abel, frère de Caïn. Abel devint berger, et Caïn cultivait la terre.

Au temps fixé, Caïn présenta des produits de la terre en offrande au Seigneur. De son côté, Abel présenta les premiers-nés de son troupeau, en offrant les morceaux les meilleurs. Le Seigneur tourna son regard vers Abel et son offrande, mais vers Caïn et son offrande, il ne le tourna pas. Caïn en fut très irrité et montra un visage abattu.

Le Seigneur dit à Caïn : « Pourquoi es-tu irrité, pourquoi ce visage abattu ? Si tu agis bien, ne relèveras-tu pas ton visage ? Mais si tu n’agis pas bien…, le péché est accroupi à ta porte. Il est à l’affût, mais tu dois le dominer. »

Caïn dit à son frère Abel : « Sortons dans les champs. » Et, quand ils furent dans la campagne, Caïn se jeta sur son frère Abel et le tua.

Le Seigneur dit à Caïn : « Où est ton frère Abel ? » Caïn répondit : « Je ne sais pas. Est-ce que je suis, moi, le gardien de mon frère ? » Le Seigneur reprit : « Qu’as-tu fait ? La voix du sang de ton frère crie de la terre vers moi ! Maintenant donc, sois maudit et chassé loin de cette terre qui a ouvert la bouche pour boire le sang de ton frère, versé par ta main. Tu auras beau cultiver la terre, elle ne produira plus rien pour toi. Tu seras un errant, un vagabond sur la terre. »

Alors Caïn dit au Seigneur : « Mon châtiment est trop lourd à porter ! Voici qu’aujourd’hui tu m’as chassé de cette terre. Je dois me cacher loin de toi, je serai un errant, un vagabond sur la terre, et le premier venu qui me trouvera me tuera. » Le Seigneur lui répondit : « Si quelqu’un tue Caïn, Caïn sera vengé sept fois. » Et le Seigneur mit un signe sur Caïn pour le préserver d’être tué par le premier venu qui le trouverait.

Livre de la Genèse, chapitre 4

Le serpent était le plus rusé de tous les animaux des champs que le Seigneur Dieu avait faits. Il dit à la femme : « Alors, Dieu vous a vraiment dit : “Vous ne mangerez d’aucun arbre du jardin” ? » La femme répondit au serpent : « Nous mangeons les fruits des arbres du jardin. Mais, pour le fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit :  » Vous n’en mangerez pas, vous n’y toucherez pas, sinon vous mourrez.  » »

Le serpent dit à la femme : « Pas du tout ! Vous ne mourrez pas ! Mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront, et vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal. » La femme s’aperçut que le fruit de l’arbre devait être savoureux, qu’il était agréable à regarder et qu’il était désirable, cet arbre, puisqu’il donnait l’intelligence. Elle prit de son fruit, et en mangea. Elle en donna aussi à son mari, et il en mangea.

Alors leurs yeux à tous deux s’ouvrirent et ils se rendirent compte qu’ils étaient nus. Ils attachèrent les unes aux autres des feuilles de figuier, et ils s’en firent des pagnes. Ils entendirent la voix du Seigneur Dieu qui se promenait dans le jardin à la brise du jour. L’homme et sa femme allèrent se cacher aux regards du Seigneur Dieu parmi les arbres du jardin.

Le Seigneur Dieu appela l’homme et lui dit : « Où es-tu donc ? » Il répondit : « J’ai entendu ta voix dans le jardin, j’ai pris peur parce que je suis nu, et je me suis caché. » Le Seigneur reprit : « Qui donc t’a dit que tu étais nu ? Aurais-tu mangé de l’arbre dont je t’avais interdit de manger ? » L’homme répondit : « La femme que tu m’as donnée, c’est elle qui m’a donné du fruit de l’arbre, et j’en ai mangé. »  Le Seigneur Dieu dit à la femme : « Qu’as-tu fait là ? » La femme répondit : « Le serpent m’a trompée, et j’ai mangé. »

 
Albert Dürer, Adam, Eve et le Serpent, Huile sur panneau, 1507. Musée du Prado (Madrid)

La page du Musée du Prado sur ce tableau


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Le récit de la création de l’homme et de la femme

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