Parler de Dieu

Michel-Ange, La Création d’Adam. Fresque au plafond de la Chapelle Sixtine (Vatican). 1508-1512

Parler de Dieu, tenir un discours sur Dieu, c’est faire de la théologie (en grec ancien, Theos = Dieu ; logos = discours. Théologie : discours sur Dieu).

Difficulté : Dieu, personne ne l’a vu. Comment alors en parler?

En effet, Dieu, s’Il est réel, n’appartient pas au même ordre de réalité que nous et ce qui existe autour de nous.

Les philosophes ont un mot pour exprimer cela : Dieu est transcendant. Il est « au-delà » de notre ordre de réalité. Du latin « trans » = à travers, au-delà et « ascendere » = monter, aller vers le haut.

À noter que l’image du « haut » et de « l’ascension » pour localiser Dieu est une image révélatrice. Dans notre culture, le « haut » est généralement associé à ce qui a de la valeur et le « bas » à ce qui est de moindre valeur. On pourrait dans certaines circonstances inverser le point de vue : est négatif le « haut » de l’orgueilleux, de celui qui « s’y croit » ; est positif le « bas » de celui qui est humble. Quand Saint Paul évoque le Christ Jésus qui est Dieu, il utilise autant l’image du bas que du haut :

« Ne soyez jamais intrigants ni vaniteux, mais ayez assez d’humilité pour estimer les autres supérieurs à vous-mêmes. Que chacun de vous ne soit pas préoccupé de ses propres intérêts ; pensez aussi à ceux des autres.

Ayez en vous les dispositions qui sont dans le Christ Jésus : Le Christ Jésus, ayant la condition de Dieu, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’est anéanti, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes. Reconnu homme à son aspect, il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix. C’est pourquoi Dieu l’a exalté : il l’a doté du Nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse au ciel, sur terre et aux enfers, et que toute langue proclame : « Jésus Christ est Seigneur » à la gloire de Dieu le Père. » (Épître aux Philippiens, chapitres 2)

L’écrivain Christian Bobin, dans son livre Le Très-Bas, représente Dieu à partir de l’image du « bas »

Dieu existe-t-il?

Ex-stare : à partir de – se tenir

Nous existons parce que nous n’existons pas par nous-mêmes : nous recevons notre existence (où nous la subissons). Nous n’en sommes pas la cause. Hamlet, dans son célèbre monologue « To be or not to be », découvre qu’il n’est pas certain que la mort libère de l’existence.

Il en va ainsi pour tout ce qui ex-iste dans notre ordre de réalité.

Dieu s’il est (mieux vaut employer ce verbe), n’ex-siste pas puisqu’il ne tire son existence que de Lui-Même, puisqu’il n’est pas causé par quoi que ce soit d’autre que Lui.

Dieu, s’il est (beaucoup le croient, ont la « foi »), n’existe pas comme existe ce qui appartient à notre ordre de réalité…

Parler de Dieu… parler de la relation à Dieu…

Deux voies pour, malgré tout, parler de Dieu :

  1. La logique, le langage rationnel (c’est celui utilisé dans ce qui précède). La question de Dieu est sans doute la question la plus abstraite qui soit, celle où le « cerveau humain » doit être le plus performant.
  2. Le langage imagé. Nous pouvons parler de Dieu à l’aide d’images tirées de notre réalité concrète. Par exemple, en le comparant à des animaux (la souris, le lion, le papillon, le chat… voir la note « Si Dieu était une couleur… » À chaque fois nous disons quelque chose de Dieu à travers ces images qui peuvent pourtant être interprétées de plusieurs manières (comme tout ce qui est symbolique).

Quand nous parlons de Dieu, c’est finalement de façon anthropomorphique (anthropos : homme, morphè : forme). Nous donnons à Dieu une forme humaine (un père, un roi, quelqu’un qui s’efface…)

Et si nous y regardons de plus près, quand nous parlons de Dieu, nous ne disons pas « ce » qu’Il est, mais parlons plutôt de notre relation à Lui (et de sa relation à nous).

Quand Dieu sera comparé, nous signifions souvent que nous sommes en relation avec lui comme avec un Roi. Et parce que nous le voyons comme un roi, nous en chercherons des « preuves » dans notre vie : en interprétant tel ou tel événement comme une récompense reçue pour services rendus, ou comme une sanction, ou comme un ordre, etc.

Comment saint Thomas d’Aquin justifie que l’on parle de Dieu par des images « viles »

Il peut sembler « vil »[1] de parler de Dieu à travers des images anthropomorphes ou matérielles. N’est-ce pas Lui manquer de respect ? N’est-ce pas quasi blasphématoire ?

Dans sa Somme Théologique, Saint Thomas d’Aquin, théologien catholique majeur du 13ème siècle n’est pas d’accord :

« Il convient certainement à la Sainte Ecriture de nous livrer les choses divines sous le voile de similitudes empruntées aux choses corporelles. Dieu, en effet, pourvoit à tous les êtres conformément à leur nature. Or il est naturel à l’homme de s’élever à l’intelligible par le sensible, parce que toute notre connaissance prend son origine des sens. Il est donc parfaitement convenable que dans l’Écriture sainte les choses spirituelles nous soient livrées au moyen de métaphores corporelles.

De plus l’Écriture étant proposée de façon commune à tous, selon ce mot de l’Apôtre (Épître aux Romains 1,14) : « Je me dois aux savants et aux ignorants », il li convient de présenter les réalités spirituelles sous la figure de similitudes empruntées au corps, afin que, par ce moyen tout au moins, les simples la comprennent, eux qui ne sont pas aptes à saisir en elles-mêmes les réalités intelligibles. »

Et dans les solutions qu’il donne aux arguments contraires, le docteur angélique cite Denys l’Aréopagyte :

« Du reste l’obscurité même des figures est utile, tant pour exercer les esprits studieux, que pour éviter les moqueries des infidèles au sujet desquels st Matthieu dit (7,6) ; « ne donnez pas aux chiens ce qui est sacré.« 

Denys nous explique encore pourquoi il est préférable que, dans les Écritures, les choses divines nous soient livrées sous la figure des corps les plus vils, plutôt que sous celle des plus nobles. Il en donne trois raisons.

        1. Tout d’abord on écarte ainsi de l’esprit humain un risque d’erreur, en rendant évident qu’on ne parle pas en propriété de terme des choses divines, ce qui pourrait être l’objet d’un doute, si ces choses étaient présentées sous la figure des corps les plus nobles, surtout pour les hommes qui n’imaginent rien de plus noble que le monde corporel.
        2. En deuxième lieu, cette manière d’agir est plus en rapport avec la connaissance que nous avons de Dieu en cette vie ; car nous savons plutôt de Dieu ce qu’il n’est pas que ce qu’il est ; les similitudes les plus lointaines sont donc à cet égard les plus proches de la vérité : elles nous donnent à comprendre que Dieu est au-dessus de tout ce que nous pouvons dire ou penser de lui.
        3. Enfin par là, les choses divines se trouvent voilées plus efficacement au regard des indignes. »

(Somme théologique 1re partie, question 1, article 9)

[1] « vil » : Qui a peu de valeur, méprisable. Du latin vilis « à bas prix » d’où « méprisable ».


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Dieu : une personne… pas comme nous. Un article de Christophe Herinckx

L’article avec police de taille 14

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