Quelques poèmes de femmes (romantiques ?)

Sapphô, poétesse grecque du 7ème siècle avant Jésus-Christ

Mes Rivières

 

Je me soulageais de ma souffrance
Quand soudain une forme prit apparence
Elle me regarda m’alléger
Quand sur mes joues les larmes brûlaient
Par sa bouche rien n’est passé
Mais de ses yeux elle a crié
D’un silence aussi bruyant
Que la vie sans les vivants.

É. N.

 

Botanique

Tu es tombé amoureux de mes fleurs
Tous ces bons moments passés
Qui de mes yeux ont effacé les pleurs
Mais tu n’as jamais aimé mes racines
Alors quand l’hiver est arrivé
Le bonheur s’est arrêté
Et tu as tout piétiné
Depuis que tu es parti je ne compte plus les jours
Sans toi l’air est si lourd
Je ne pense plus croire en l’amour
Mais ma mémoire t’aime toujours

É. N.

 

À celles qui pleurent

Vous surtout que je plains si vous n’êtes chéries,
Vous surtout qui souffrez, je vous prends pour mes soeurs :
C’est à vous qu’elles vont, mes lentes rêveries,
Et de mes pleurs chantés les amères douceurs.

Prisonnière en ce livre une âme est contenue.
Ouvrez, lisez : comptez les jours que j’ai soufferts.
Pleureuses de ce monde où je passe inconnue,
Rêvez sur cette cendre et trempez-y vos fers.

Chantez ! Un chant de femme attendrit la souffrance.
Aimez ! Plus que l’amour la haine fait souffrir.
Donnez ! La charité relève l’espérance :
Tant que l’on peut donner on ne veut pas mourir !

Si vous n’avez le temps d’écrire aussi vos larmes,
Laissez-les de vos yeux descendre sur ces vers.
Absoudre, c’est prier ; prier, ce sont nos armes.
Absolvez de mon sort les feuillets entr’ouverts !

Pour livrer sa pensée au vent de la parole,
S’il faut avoir perdu quelque peu sa raison,
Qui donne son secret est plus tendre que folle :
Méprise-t-on l’oiseau qui répand sa chanson ?

Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859)

 

À la poésie

Ô douce Poésie !
Couvre de quelques fleurs
La triste fantaisie
Qui fait couler mes pleurs ;
Trompe mon âme tendre
Que l’on blessa toujours :
Je ne veux plus attendre
Mes plaisirs des amours.

Donne aux vers de ma lyre
Une aimable couleur,
Ta grâce à mon délire,
Ton charme à ma douleur.
Que le nuage sombre
Qui voile mes destins,
S’échappe, comme une ombre,
À tes accents divins.

Sois toujours attentive
À mes chants douloureux ;
D’une pudeur craintive
Enveloppe mes vœux ;
Cache l’erreur brûlante
Qui trouble mon bonheur :
Mais, ô Dieu ! qu’elle est lente
À sortir de mon cœur !

Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859)

 

Les roses de Saadi

J’ai voulu ce matin te rapporter des roses ;
Mais j’en avais tant pris dans mes ceintures closes
Que les noeuds trop serrés n’ont pu les contenir.

Les noeuds ont éclaté. Les roses envolées
Dans le vent, à la mer s’en sont toutes allées.
Elles ont suivi l’eau pour ne plus revenir ;

La vague en a paru rouge et comme enflammée.
Ce soir, ma robe encore en est tout embaumée…
Respires-en sur moi l’odorant souvenir.

Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859)

 

Ave

Très haut amour, s’il se peut que je meure
Sans avoir su d’où je vous possédais,
En quel soleil était votre demeure
En quel passé votre temps, en quelle heure
Je vous aimais,

Très haut amour qui passez la mémoire,
Feu sans foyer dont j’ai fait tout mon jour,
En quel destin vous traciez mon histoire,
En quel sommeil se voyait votre gloire,
Ô mon séjour…

Quand je serai pour moi-même perdue
Et divisée à l’abîme infini,
Infiniment, quand je serai rompue,
Quand le présent dont je suis revêtue
Aura trahi,

Par l’univers en mille corps brisée,
De mille instants non rassemblés encor,
De cendre aux cieux jusqu’au néant vannée,
Vous referez pour une étrange année
Un seul trésor

Vous referez mon nom et mon image
De mille corps emportés par le jour,
Vive unité sans nom et sans visage,
Cœur de l’esprit, ô centre du mirage
Très haut amour.

Catherine Pozzi, (1882-1934)

 

Je vis je meurs…

Je vis, je meurs : je me brûle et me noie,
J’ai chaud extrême en endurant froidure;
La vie m’est et trop molle et trop dure,
J’ai grands ennuis entremélés de joie.

Tout en un coup je ris et je larmoie,
Et en plaisir maint grief tourment j’endure,
Mon bien s’en va, et à jamais il dure,
Tout en un coup je sèche et je verdoie.

Ainsi Amour inconstamment me mène
Et, quand je pense avoir plus de douleur,
Sans y penser je me trouve hors de peine.

Puis, quand je crois ma joie être certaine,
Et être en haut de mon désiré heur,
Il me remet en mon premier malheur.

Louise Labbé (1524-1666)

 

 Ô longs désirs…

Ô longs désirs, ô espérances vaines,
Tristes soupirs et larmes coutumières
À engendrer de moi maintes rivières,
Dont mes deux yeux sont sources et fontaines !

Ô cruautés ô durtés inhumaines,
Piteux regards des célestes lumières,
Du coeur transi ô passions premières
Estimez-vous croître encore mes peines ?

Qu’encor Amour sur moi son arc essaie,
Que de nouveaux feux me jette et nouveaux dards,
Qu’il se dépite et pis qu’il pourra fasse :

Car je suis tant navrée en toute part
Que plus en moi une nouvelle plaie
Pour m’empirer, ne pourrait trouver place.

Louise Labbé (1524-1666)

 

Je ne sais comment je dure…

Je ne sais comment je dure ;
Car mon dolent cœur fond d’ire,
Et plaindre n’ose, ni dire
Ma douloureuse aventure,

Ma dolente vie obscure,
Rien, hors la mort, ne désire ;
Je ne sais comment je dure.

Et me faut par couverture
Chanter quand mon cœur soupire,
Et faire semblant de rire ;
Mais Dieu sait ce que j’endure ;
Je ne sais comment je dure.

 

Christine de Pisan (1364-1430)

 

L’ardeur

 

Rire ou pleurer, mais que le coeur
Soit plein de parfums comme un vase,
Et contienne jusqu’à l’extase
La force vive ou la langueur.

Avoir la douleur ou la joie,
Pourvu que le coeur soit profond
Comme un arbre où des ailes font
Trembler le feuillage qui ploie ;

S’en aller pensant ou rêvant,
Mais que le coeur donne sa sève
Et que l’âme chante et se lève
Comme une vague dans le vent.

Que le coeur s’éclaire ou se voile,
Qu’il soit sombre ou vif tour à tour,
Mais que son ombre et que son jour
Aient le soleil ou les étoiles…

 

Anna de Noailles (1876-1933)

Ce n’est pas une fois…

Ce n’est pas en une fois
Que je saurai ton visage
Ce n’est pas en sept fois
Ni en cent ni en mille
Ce ne sont pas tes erreurs
Ce ne sont pas tes triomphes
Ce ne sont pas tes années
Tes entailles ou ta joie
Ni en ce corps à corps
Que je saurai ton corps

Ce ne sont pas nos rencontres
Même pas nos désaveux
Qui élucident ton être
Plus vaste que ses miroirs

C’est tout cela ensemble
C’est tout cela mêlé
C’est tout ce qui m’échappe
C’est tout ce qui te fuit
Tout ce qui te délivre
Du poids des origines
Des mailles de toute naissance

Et des cloisons du temps

C’est encore cette lueur :
Ta liberté enfouie
Brûlant ses limites
Pour s’évaser devant.

Andrée Chedid (1920-2011

 

Ayant perdu la trame…

 

Ayant perdu la trame du fleuve
Étouffé les senteurs d’océan

De raccrocs en saccades
De mirages en décors
Loin du largo des jours

L’homme
Séparé du
Chant
S’égare dans l’âpre canal des mots dépeuplés.

Andrée Chedid (1920-2011)

À une aimée

Il goûte le bonheur que connaissent les dieux
Celui qui peut auprès de toi
Se tenir et te regarder,
Celui qui peut goûter la douceur de ta voix,

Celui que peut toucher la magie de ton rire,
Mais moi, ce rire, je le sais,
il fait fondre mon cœur en moi.

Ah ! moi, sais-tu, si je te vois,
Fût-ce une seconde aussi brève,
Tout à coup alors sur mes lèvres,
Expire sans force ma joie.

Ma langue est là comme brisée,
Et soudain, au cœur de ma chair,
Un feu invisible a glissé.
Mes yeux ne voient plus rien de clair,
À mon oreille un bruit a bourdonné.

Sapphô, 7ème siècle AC