Emmanuel Levinas : la patience n’attend rien

Emmanuel Levinas (une autre note du cours est consacrée à ce philosophe) a donné au milieu des années 70, une série de cours qui ont été publiés chez Grasset, dans la collection Figures, sous le titre Dieu, la Mort et le Temps. Leur lecture est plus facile que les livres plus écrits et concentrés de Levinas : c’est une parole de cours, plus accessible.

Aux pages 157 et suivantes, il y est question de la patience que Levinas distingue de l’attente et qu’il articule à l’irruption de l’autre et de la responsabilité à laquelle l’autre éveille.

Levinas poursuit ensuite sur la patience qui attend, mais qui contrairement à l’attente n’attend pas quelque chose (n’est pas comme l’attente : « intentionnelle », n’est pas « vouloir », ne « vise » pas, n’a pas d’attendu – avec toute la violence meurtrière qui apparaît derrière ces mots : viser, attendu).

L’attente avec ses attendus est en effet piégeante : on veut que quelque chose se passe, et on le veut violemment, on peut être prêt à tout pour l’avoir et prêt à rien si ce que l’on attend ne vient pas (dans les conflits, les guerres, l’impatience fait que les belligérants exigent ceci ou cela de l’ennemi pour accepter de baisser les armes).

La Patience pour Levinas est une autre attitude : « une pure patience, un pur subir, un éveil qui est éveil à l’égard du prochain, une soudaineté qui devient la proximité du prochain. » La patience n’impose pas ses conditions au temps (et aux autres) contrairement à l’attente. Elle attend peut-être, elle espère peut-être –  mais sans attendre, sans exiger, quelque chose.

Et Levinas de citer aussi ces deux célèbres vers de La Fontaine (tiré du Lion et du Rat : voir une note du cours sur cette fable) :

Patience et longueur de temps

Font plus que force ni que rage

Et la patience, « l’attente sans attendu (le temps lui-même) se retourne en responsabilité pour autrui. » (Emmanuel Levinas). Levinas fait en effet naître la patience de l’irruption de l’autre dans le repos du Temps. Irruption qui empêche de s’endormir. Moment « d’ouverture (…) qui est battement de l’Autre dans le Même, lequel, précisément, agite le repos. » Et Levinas renvoie ce « battement » au mot hébreu « pa’am » (agiter, heurter, ou battre au sens où le coeur bat), « po’am » (battement pulsation), « pa’amon » (la cloche).

Je suis appelé à la patience quand l’autre m’arrache à mon repos, m’inquiète, me met en in-somnie, mais quand je n’ai rien à attendre, à exiger, de lui. Juste à patienter.

Le mot patience vient du mot grec pathein (équivalent latin pati) qui signifie subir, souffrir. Ainsi, patienter, c’est choisir de simplement subir la situation douloureuse, frustrante, que l’on vit. Le patient, à l’hôpital, est celui qui est réduit à subir la maladie et à s’en remettre aux autres pour la prise en charge de celle-ci. Au sens philosophique et moral classique, les passions sont ces émotions et sentiments intérieurs, parfois négatifs et terribles, qui surgissent en nous et que nous n’avons pas voulus, que nous ne maîtrisons pas, que nous subissons.


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