La création a été soumise au pouvoir du néant… Discernement chrétien ou discernement bouddhiste ?

Nous avons vu, dans la note consacrée au bouddhisme, que pour un bouddhiste, le monde et l’existence n’ont pas de consistance que la vacuité, le rien, le néant, est le fin mot ultime : rien ne dure, je ne suis rien, rien ne peut satisfaire le désir. Pour ne plus souffrir, il faut dès lors voir s’éteindre nos désirs, notre désir-même de vivre (extinction : en sanskrit, langue de l’inde antique : nirvana). Alors nous pouvons nous dissoudre dans la vacuité.

Un juif ou un chrétien regarde autrement l’existence parce qu’il la regarde comme créée par Dieu et bonne. Il  est absurde de considérer que Dieu crée du « rien ».

Pour le juif et le chrétien, la création est bonne, et même très bonne. Formule attribuée à Dieu dans le premier chapitre de la Bible consacré à la création en six jours « Dieu vit que cela était bon » est répété cinq fois dans ce premier chapitre. Une fois que la Création est achevée par la création de l’être humain, une formule intensive est utilisée :

« Et Dieu vit tout ce qu’il avait fait ; et voici : cela était très bon. »

Et Dieu ensuite de se reposer le septième jour … les rabbins juifs considèrent que le sens spirituel de ce repos est que Dieu confie le monde, l’existence, à l’être humain pour qu’il y grandisse, s’y développe et achève la création. Les théologiens catholiques ont choisi l’expression suivante pour exprimer la même idée : l’être humain est co-créateur, créateur avec Dieu.

Cela implique une conséquence importante pour l’action des chrétiens : le désir n’est pas quelque chose de mauvais et d’illusoire qui fait croire, en vain, à l’être humain qu’il doit rechercher ce qui va donner une forme de consistance à sa vie, à la vie. Et il n’est pas vain de chercher à vouloir construire quelque chose, à faire quelque chose de sa vie, à apporter sa pierre à l’édifice.

Le tout est de bien discerner en vue d’agir.

Toutefois… la création a été soumise au néant…

Saint Paul, auteur chrétien, dans le chapitre 8 de son Épître aux Romains évoque aussi le néant auquel est malgré tout soumise la Création, mais pas de son plein gré :

« En effet, la création attend avec impatience la révélation des fils de Dieu. Car la création a été soumise au pouvoir du néant, non pas de son plein gré, mais à cause de celui qui l’a livrée à ce pouvoir. Pourtant, elle a gardé l’espérance d’être, elle aussi, libérée de l’esclavage de la dégradation, pour connaître la liberté de la gloire donnée aux enfants de Dieu.

Nous le savons bien, la création tout entière gémit, elle passe par les douleurs d’un enfantement qui dure encore. Et elle n’est pas seule. Nous aussi, en nous-mêmes, nous gémissons ; nous avons commencé à recevoir l’Esprit Saint, mais nous attendons notre adoption et la rédemption de notre corps.

Car nous avons été sauvés, mais c’est en espérance ; voir ce qu’on espère, ce n’est plus espérer : ce que l’on voit, comment peut-on l’espérer encore ? Mais nous, qui espérons ce que nous ne voyons pas, nous l’attendons avec persévérance.» (versets 17-25)

Quelques idées-clefs de ce texte :

  • La survenue du néant, du mal décréateur, dans la Création est un accident
  • Ce n’est pas un accident définitif, tout n’est pas anéanti (la création, par la résurrection du Christ, a été libérée du néant)
  • La responsabilité des « fils de Dieu » (des humains) est de révéler activement, avec persévérance (en acte, pas uniquement avec des belles phrases) que soumise au mal, la Création a été libérée de cette soumission
  • Certes le mal existe, mais il est vaincu : et la souffrance est celle d’un enfantement

Et donc… discernons !

L’être humain est dès lors renvoyé à sa responsabilité, à sa capacité de répondre, et à un travail de discernement personnel et collectif dont l’enjeu est le suivant :

  • Identifier le « néant », le « mal décréateur » pour ne pas s’y attacher
  • Discerner ce qui libère de ce « néant » pour s’y attacher avec persévérance

Saint Ignace de Loyola, un des maîtres spirituels importants de la tradition chrétienne formule ainsi cette disposition active, dans le Principe et Fondement qui ouvre son manuel pratique de Spiritualité Les Exercices Spirituels (cliquez ici pour la note à ce sujet) :

L’homme est créé
pour louer, respecter et servir Dieu notre Seigneur
et par là sauver son âme,
et les autres choses sur la face de la terre
sont créées pour l’homme,
et pour l’aider dans la poursuite de la fin
pour laquelle il est créé.

D’où il suit que l’homme doit user de ces choses
dans la mesure où elles l’aident pour sa fin
et qu’il doit s’en dégager
dans la mesure où elles sont, pour lui, un obstacle à cette fin

Pour cela il est nécessaire de nous rendre indifférents
à toutes les choses créées,
en tout ce qui est laissé à la liberté de notre libre-arbitre
et qui ne lui est pas défendu ;

de telle manière que nous ne voulions pas, pour notre part,
davantage la santé que la maladie,
la richesse que la pauvreté,
l’honneur que le déshonneur,
une vie longue qu’une vie courte
et ainsi de suite pour tout le reste,

mais que nous désirions et choisissions uniquement
ce qui nous conduit davantage
à la fin pour laquelle nous sommes créés.

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