UAA 0 / UAA6 Lecture et analyse de la scène 4 de l’Acte III du Cid

Afficher et télécharger le pdf de la note

Version word .docx

Consigne de l’exercice :

 

  • Lire attentivement et comprendre.
  • Choisir six vers qui vous semblent particulièrement significatifs (ils ne peuvent se suivre) : trois de Rodrigue et trois de Chimène. Attention : certains vers s’étendent sur plusieurs répliques.
  • Les recopier et expliquer chaque fois pourquoi vous les avez choisis, de quoi ils sont significatifs.
  • Faire de même pour un septième : plus significatif encore.

 

——————————————————————————————————————————-

 

Don Rodrigue

 

Eh bien ! sans vous donner la peine de poursuivre,

Assurez-vous l’honneur de m’empêcher de vivre.

 

Chimène

 

Elvire, où sommes-nous, et qu’est-ce que je voi ?

Rodrigue en ma maison ! Rodrigue devant moi !

 

Don Rodrigue

 

N’épargnez point mon sang : goûtez sans résistance

La douceur de ma perte et de votre vengeance.

 

Chimène

 

Hélas !

 

Don Rodrigue

 

Écoute-moi.

 

Chimène

 

Je me meurs.

 

Don Rodrigue

 

Un moment.

 

Chimène

 

Va, laisse-moi mourir.

 

Don Rodrigue

 

Quatre mots seulement :

Après ne me réponds qu’avecque cette épée.

 

 

Chimène

 

Quoi ! du sang de mon père encor toute trempée !

 

Don Rodrigue

 

Ma Chimène…

 

Chimène

 

Ôte-moi cet objet odieux,

Qui reproche ton crime et ta vie à mes yeux.

 

Don Rodrigue

 

Regarde-le plutôt pour exciter ta haine,

Pour croître ta colère, et pour hâter ma peine[1].

 

Chimène

 

Il est teint de mon sang.

 

Don Rodrigue

 

Plonge-le dans le mien,

Et fais-lui perdre ainsi la teinture du tien.

 

Chimène

 

Ah ! quelle cruauté, qui tout en un jour tue

Le père par le fer, la fille par la vue !

Ôte-moi cet objet, je ne puis le souffrir :

Tu veux que je t’écoute, et tu me fais mourir !

 

Don Rodrigue

 

Je fais ce que tu veux, mais sans quitter l’envie

De finir par tes mains ma déplorable vie ;

Car enfin n’attends pas de mon affection[2]

Un lâche repentir d’une bonne action.

L’irréparable effet d’une chaleur[3] trop prompte

Déshonorait mon père, et me couvrait de honte.

Tu sais comme un soufflet touche un homme de cœur[4] ;

J’avais part à l’affront, j’en ai cherché l’auteur :

Je l’ai vu, j’ai vengé mon honneur et mon père ;

Je le ferais encor, si j’avais à le faire.

Ce n’est pas qu’en effet contre mon père et moi

Ma flamme assez longtemps n’ait combattu pour toi ;

Juge de son pouvoir : dans une telle offense

J’ai pu délibérer si j’en prendrais vengeance.

Réduit à te déplaire, ou souffrir un affront,

J’ai pensé qu’à son tour mon bras était trop prompt ;

Je me suis accusé de trop de violence ;

Et ta beauté sans doute emportait la balance,

À moins que d’opposer à tes plus forts appas

Qu’un homme sans honneur ne te méritait pas ;

Que malgré cette part que j’avais en ton âme,

Qui m’aima généreux me haïrait infâme ;

Qu’écouter ton amour, obéir à sa voix,

C’était m’en rendre indigne et diffamer[5] ton choix.

Je te le dis encore ; et quoique j’en soupire,

Jusqu’au dernier soupir je veux bien le redire :

Je t’ai fait une offense, et j’ai dû m’y porter[6]

Pour effacer ma honte, et pour te mériter ;

Mais quitte envers l’honneur, et quitte envers mon père,

C’est maintenant à toi que je viens satisfaire[7] :

C’est pour t’offrir mon sang qu’en ce lieu tu me vois.

J’ai fait ce que j’ai dû, je fais ce que je dois.

Je sais qu’un père mort t’arme contre mon crime ;

Je ne t’ai pas voulu dérober ta victime :

Immole avec courage au sang qu’il a perdu

Celui qui met sa gloire à l’avoir répandu.

 

Chimène

 

Ah ! Rodrigue, il est vrai, quoique ton ennemie,

Je ne te puis blâmer d’avoir fui l’infamie ;

Et de quelque façon qu’éclatent mes douleurs,

Je ne t’accuse point, je pleure mes malheurs.

Je sais ce que l’honneur, après un tel outrage,

Demandait à l’ardeur d’un généreux courage :

Tu n’as fait le devoir que d’un homme de bien ;

Mais aussi, le faisant, tu m’as appris le mien.

Ta funeste valeur m’instruit par ta victoire ;

Elle a vengé ton père et soutenu ta gloire :

Même soin me regarde, et j’ai, pour m’affliger,

Ma gloire à soutenir, et mon père à venger.

Hélas ! ton intérêt[8] ici me désespère :

Si quelque autre malheur m’avait ravi mon père,

Mon âme aurait trouvé dans le bien de te voir

L’unique allégement qu’elle eût pu recevoir ;

Et contre ma douleur j’aurais senti des charmes,

Quand une main si chère eût essuyé mes larmes.

Mais il me faut te perdre après l’avoir perdu ;

Cet effort sur ma flamme à mon honneur est dû ;

Et cet affreux devoir, dont l’ordre m’assassine,

Me force à travailler moi-même à ta ruine.

Car enfin n’attends pas de mon affection

De lâches sentiments pour ta punition.

De quoi qu’en ta faveur notre amour m’entretienne,

Ma générosité doit répondre à la tienne :

Tu t’es, en m’offensant, montré digne de moi ;

Je me dois, par ta mort, montrer digne de toi.

 

Don Rodrigue

 

Ne diffère donc plus ce que l’honneur t’ordonne :

Il demande ma tête, et je te l’abandonne ;

Fais-en un sacrifice à ce noble intérêt :

Le coup m’en sera doux, aussi bien que l’arrêt.

Attendre après mon crime une lente justice,

C’est reculer ta gloire autant que mon supplice.

Je mourrai trop heureux, mourant d’un coup si beau.

 

Chimène

 

Va, je suis ta partie[9], et non pas ton bourreau.

Si tu m’offres ta tête, est-ce à moi de la prendre ?

Je la dois attaquer, mais tu dois la défendre ;

C’est d’un autre que toi qu’il me faut l’obtenir,

Et je dois te poursuivre, et non pas te punir.

 

Don Rodrigue

 

De quoi qu’en ma faveur notre amour t’entretienne,

Ta générosité doit répondre à la mienne ;

Et pour venger un père emprunter d’autres bras,

Ma Chimène, crois-moi, c’est n’y répondre pas :

Ma main seule du mien a su venger l’offense,

Ta main seule du tien doit prendre la vengeance.

 

Chimène

 

Cruel ! à quel propos[10] sur ce point t’obstiner ?

Tu t’es vengé sans aide, et tu m’en veux donner !

Je suivrai ton exemple, et j’ai trop de courage

Pour souffrir qu’avec toi ma gloire se partage.

Mon père et mon honneur ne veulent rien devoir

Aux traits de ton amour ni de ton désespoir.

 

Don Rodrigue

 

Rigoureux point d’honneur ! hélas ! quoi que je fasse,

Ne pourrai-je à la fin obtenir cette grâce ?

Au nom d’un père mort, ou de notre amitié,

Punis-moi par vengeance, ou du moins par pitié.

Ton malheureux amant aura bien moins de peine

À mourir par ta main qu’à vivre avec ta haine.

 

Chimène

 

Va, je ne te hais point.

 

Don Rodrigue

 

Tu le dois.

 

Chimène

 

Je ne puis.

 

Don Rodrigue

 

Crains-tu si peu le blâme, et si peu les faux bruits ?

Quand on saura mon crime, et que ta flamme dure,

Que ne publieront point l’envie et l’imposture[11] !

Force-les au silence, et, sans plus discourir,

Sauve ta renommée en me faisant mourir.

 

Chimène

 

Elle éclate bien mieux en te laissant la vie ;

Et je veux que la voix de la plus noire envie

Élève au ciel ma gloire et plaigne mes ennuis,

Sachant que je t’adore et que je te poursuis.

Va-t’en, ne montre plus à ma douleur extrême

Ce qu’il faut que je perde, encore que je l’aime.

Dans l’ombre de la nuit cache bien ton départ :

Si l’on te voit sortir, mon honneur court hasard[12].

La seule occasion qu’aura la médisance,

C’est de savoir qu’ici j’ai souffert ta présence :

Ne lui donne point lieu d’attaquer ma vertu[13].

 

Don Rodrigue

 

Que je meure !

 

Chimène

 

Va-t’en.

 

Don Rodrigue

 

À quoi te résous-tu ?

 

Chimène

 

Malgré des feux si beaux, qui troublent ma colère,

Je ferai mon possible à bien venger mon père ;

Mais malgré la rigueur d’un si cruel devoir,

Mon unique souhait est de ne rien pouvoir.

 

Don Rodrigue

 

Ô miracle d’amour !

 

Chimène

 

Ô comble de misères !

 

Don Rodrigue

 

Que de maux et de pleurs nous coûteront nos pères !

 

Chimène

 

Rodrigue, qui l’eût cru ?

 

 

 

Don Rodrigue

 

Chimène, qui l’eût dit ?

 

Chimène

 

Que notre heur[14] fût si proche et sitôt se perdît ?

 

Don Rodrigue

 

Et que si près du port, contre toute apparence,

Un orage si prompt brisât notre espérance ?

 

Chimène

 

Ah ! mortelles douleurs !

 

Don Rodrigue

 

Ah ! regrets superflus !

 

Chimène

 

Va-t’en, encore un coup, je ne t’écoute plus.

 

Don Rodrigue

 

Adieu : je vais traîner une mourante vie,

Tant que par ta poursuite elle me soit ravie.

 

Chimène

 

Si j’en obtiens l’effet[15], je t’engage ma foi

De ne respirer pas un moment après toi.

Adieu : sors, et surtout garde bien qu’on te voie.

 

Elvire

 

Madame, quelques maux que le ciel nous envoie…

 

Chimène

 

Ne m’importune plus, laisse-moi soupirer,

Je cherche le silence et la nuit pour pleurer.

 

 

 

 

[1] peine : châtiment

[2] affection : amour

[3] chaleur : mouvement de colère

[4] cœur : courage

[5] diffamer : déshonorer

[6] m’y porter : m’y décider

[7] satisfaire : offrir réparation

[8] ton intérêt : l’intérêt que j’ai pour toi

[9] partie : adversaire dans une procédure judiciaire

[10] à quel propos : pour quelle raison

[11] imposture : mensonge

[12] courir hasard : courir un risque

[13] vertu : ici le courage

[14] heur : bonheur

[15] effet : réalisation