J’voudrais bien, mais j’peux point… Annie Cordy philosophe ?

 

La bonne du curé

Paroles: Charles Leval. Musique: Tont Montoya, Tony Roval – Editions Intersong
J’voudrais bien mais j’peux point
C’est point commode d’être à la mode
Quand on est bonn’ du curé
C’est pas facile d’avoir du style
Quand on est un’ fille comm’ mwè
Entre la cure et les figures
Des grenouilles de bénitier
La vie est dure quand on aim’ rigoler{Refrain:}
Mais quand le diable qu’est un bon diable me tire par les pieds
Ça me gratouille, ça me chatouille, ça me donn’ des idées
J’fais qu’des bêtises derrièr’ l’église
J’peux point m’en empêcher
Dieu me pardonne j’suis la bonn’ du curé.

J’voudrais bien mais j’peux point
Je voudrais mettre un’ mini jupette
Et un corsage à trous trous,
Mais il parait que pour fair’ la quête
Ça ne se fait pas du tout
Quand je veux faire un brin de causette
Avec les gars du pays
J’file en cachette derrièr’ la sacristie.

{Refrain}

J’voudrais bien mais j’peux point
Quand c’est la fête j’en perds la tête
J’voudrais ben aller danser
J’voudrais monter en motocyclette
Pour me prom’ner dans les prés
Et qu’un beau gars me compte fleurette
Avec des disqu’s à succès
Car les cantiques ça n’vaut pas Claude Françwè

{Refrain}

La la la la la la la ………………..

Ah la la, depuis qu’jai vu ce Claude FrançwèMais v’là t’y pas que j’me prends pour une Claudette

Et que j’te balance mon pied à droite, mon pied à gaucheM’sieur le Curé m’a dit que j’irai en enfer

Oh ben, j’en ai rien à faire

J’irai danser quand même, même si monsieur le curé veut point.

La la la la la la la ………………..

Le désir… (« J’voudrais« )

La loi qui l’entrave, l’empêche… (« J’peux point » : à noter le niveau de langue « précieux » du « point« … niveau de langue de ceux qui dominent dans la société… le vulgaire dira « j’peux pas« )

À moins que le « J’peux point » soit l’expression d’une incapacité de la locutrice de passer du désir à la réalisation du désir et non d’une interdiction… Mais le contexte, le reste de la chanson oriente vers l’autre interprétation : une entrave légale ou morale… une entrave sociale.

« J’peux point m’en empêcher« … Vieille question philosophique : l’être humain fait-il volontairement le mal ? Est-il méchant volontairement en faisant le mal pour lui-même, en le voulant ? ou est-il amené au mal en partie « à son corps défendant »… soit qu’il agisse mal par ignorance du bien (ou par bêtise en prenant le mal pour un bien… Ici « le diable » est vu comme « un bon diable ») – soit qu’il agisse sous la domination d’une puissance mauvaise qui le domine (diable, pulsion…)

Platon considérait que nul ne fait le mal volontairement.

Et qu’est-ce que le mal ? ce que les autorités dans la société définissent comme « mauvais » ? au nom de leurs « valeurs » ? n’est-ce pas arbitraire et contestable ? Au 19ème siècle, le philosophe allemand Nietzsche considérera que la « morale » doit être contestée, ainsi que les valeurs.

« La vie est dure quand on aime rigoler » : la vie est-elle bien faite ? l’existence a-t-elle du sens ou est-elle absurde ? Vivons-nous pour ne pas être heureux (mais comment cela serait-il justifiable si la vie a été voulue par un Créateur bon ? ce que doit croire un curé autant que sa bonne…). À moins que le bonheur, la joie, ne doivent pas être recherchés dans le plaisir, ou dans des plaisirs à considérer comme « bas« … indignes… C’est en tout cas ce que croient les autorités de la bonne du curé – ou ce qu’ils cherchent à lui faire croire…

À noter le revirement final dans l’ultime partie (narrée) de la chanson : la bonne devient capable de prendre sa vie en main et de se libérer du joug moral qui pesait sur elle.

Que de questions sérieuses ! philosophiques… et même théologiques.


Pour élargir : le conatus du philosophe Spinoza (1632-1637)

Pour bien choisir, un élève de cinquième proposait la méthode suivante : « voir si le choix peut nous épanouir. » C’est celle de notre bonne du curé à la fin de la chanson, dans la partie narrée.

C’est fort proche d’un aspect essentiel de la philosophie de Baruch Spinoza. Pour lui, l’être humain est marqué par un « conatus », littéralement un « effort » pour persévérer dans ce qu’il est et même augmenter ce qu’il est, se déployer, réaliser ses potentialités (sa « puissance »). L’être humain est une dynamique.

Il est intéressant de remarquer que , chez Spinoza comme chez saint Ignace de Loyola (1491-1566), la joie est le signe qui accompagne le fait que l’être humain est influencé positivement par ce « conatus » qui l’amène à exister davantage. Spinoza invite à refuser les « passions tristes » (rancoeur, tristesse, jalousie, désespoir, dégoût, peur, colère, remords, obsession, haine, regret…) parce qu’elles n’augmentent pas notre puissance d’agir.

« La connaissance du bon et du mauvais n’est rien d’autre qu’un sentiment de joie ou de tristesse, en tant que nous en sommes conscients » (Spinoza, L’Éthique).

« La Joie est le passage de l’homme d’une moindre à une plus grande perfection. » (Idem)

« Nous venons de voir que l’esprit peut subir de grands changements, et passer tantôt à une perfection plus grande, mais tantôt à une moindre ; et ces passions nous expliquent les sentiments de la Joie et de la Tristesse. Par Joie j’entendrai donc dans la suite la passion par laquelle l’esprit passe à une perfection plus grande ; par Tristesse, au contraire, la passion par laquelle il passe à une perfection moindre. » (Idem)

« Passion » vient du latin « pati » (du grec « pathein ») = subir, souffrir (cfr « patience »). La « passion » s’oppose à «  l’action » : la passion, c’est ce qu’on ne maîtrise pas à l’intérieur de soi, ce que l’on subit intérieurement , en positif comme en négatif : émotions et sentiments (colère, le désir, la joie, la tristesse, l’amour, la frustration, le dégoût, le goût…).

 » La gaieté, écrit-il dans L’Éthique, ne peut être excessive, mais est toujours bonne ; la mélancolie, au contraire, est toujours mauvaise. »

Les émotions négatives (qu’il appelle « les passions tristes » ) ne sont le signe de rien de bon et ne mène à rien de bon. « La satisfaction intérieure est en réalité ce que nous pouvons espérer de plus grand. »

Une phrase tirée de L’Éthique pourrait « libérer » la bonne du curé qu’incarne Annie Cordy : « Ce qui fonde l’effort, le vouloir, l’appétit, le désir, ce n’est pas que nous jugeons qu’une chose est bonne ; mais, au contraire, on juge qu’une chose est bonne parce qu’on y tend par l’effort, le vouloir, l’appétit, le désir. »

Une formulation plus simple de cette dernière phrase est souvent donnée :« Nous ne désirons pas une chose parce que nous la jugeons bonne, mais nous la jugeons bonne parce que nous la désirons. » ou « On n’aime (désire) pas une chose parce qu’elle est bonne, une chose est bonne parce qu’on l’aime (la désire) » 

Une page web synthétique au sujet de Spinoza


Le pape d’accord avec Annie Cordy !


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Une autre chanson sur l’absurdité que peut revêtir l’existence « sociale » qui brime le désir et/ou « aliène » les humains :

Je suis le poinçonneur des Lilas
Le gars qu’on croise et qu’on n’regarde pas
Y a pas de soleil sous la terre
Drôle de croisière
Pour tuer l’ennui j’ai dans ma veste
Les extraits du Reader Digest

Et dans c’bouquin y a écrit
Que des gars s’la coulent douce à Miami
Pendant c’temps que j’fais le zouave
Au fond de la cave
Parait qu’il y a pas de sots métiers
Moi j’fais des trous dans les billets

J’fais des trous des p’tits trous encore des p’tits trous
Des p’tits trous des p’tits trous toujours des p’tits trous
Des trous de seconde classe
Des trous d’premiere classe.

J’fais des trous des p’tits trous encore des p’tits
Des p’tits trous des p’tits trous toujours des p’tits trous
Des petits trous des petits trous des petits trous des petits trous.

Je suis le poinçonneur des Lilas
Pour Invalides changer à Opéra
Je vis au coeur d’la planète
J’ai dans la tête
Un carnaval de confettis
J’en amène jusque dans mon lit
Et sous mon ciel de faïence
Je n’vois briller que les correspondances
Parfois je rêve je divague
Je vois des vagues
Et dans la brume au bout du quai
Je vois un bateau qui vient m’chercher

Pour sortir de ce trou où j’fais des p’tits trous
Des p’tits trous des p’tits trous toujours des p’tits trous
Mais le bateau se taille
Et j’vois que j’déraille
Et je reste dans mon trou à faire des p’tits trous
Des p’tits trous des p’tits trous toujours des p’tits trous
Des petits trous des petits trous des petits trous des petits trous.

Je suis le poinçonneur des Lilas
Arts et Métiers direct par Levallois
J’en ai marre j’en ai ma claque
De ce cloaque
Je voudrais jouer la fille de l’air
Laisser ma casquette au vestiaire
Un jour viendra j’en suis sûr
Où j’pourrai m’évader dans la nature
J’partirai sur la grande route
Et coûte que coûte
Et si pour moi il est plus temps
Je partirai les pieds devant

J’fais des trous des p’tits trous encore des p’tits trous
Des p’tits trous des p’tits trous toujours des p’tits trous
Y a d’quoi d’venir dingue
De quoi prendre un flingue
S’faire un trou un p’tit trou un dernier p’tit trou
Un p’tit trou un p’tit trou un dernier p’tit trou
Et on m’mettra dans un grand trou et j’n’entendrais plus parler d’trous
Plus jamais d’trous de petits trous des petits trous, des petits trous

(Paroles et musique : Serge Gainsbourg)

 

Vocabulaire :

« poinçonneur » : agent-controleur de la RATP qui perce (poinçonne) les tickets de métro des voyageurs

Reader Digest : magazine familial américain (format d’un livre de poche)

Lilas, Invalides, Opéra, Arts et Métiers, Levallois : noms de stations de métro (Paris)

« correspondances » : sations qui permettent de changer de ligne de métro

« cloaque » : lieu immonde, destiné à recevoir les immondices, les détritus

 

Correspondances, Paris, décembre 2006