Nécrologie : Jean-Luc Godard. Projection en classe du film Pierrot Le Fou

« Le cinéma n’est pas à l’abri du temps. Il est l’abri du temps. »
Jean-Luc Godard, 1930-2022

 

Ce 13 septembre est décédé le réalisateur suisse Jean-Luc Godard à l’âge de 91 ans.

Le photographe William Klein, décédé la veille, l’avait photographié en 1960.

 

Je ne sais pas raconter des histoires. J’ai envie de tout restituer, de tout mêler, de tout dire en même temps. (Jean-Luc Godard, 1966)

Figure emblématique de la Nouvelle Vague, Jean-Luc Godard en est aussi l’un des plus extrêmes représentants.  Il est sans doute celui qui est allé le plus loin dans la rupture d’avec le cinéma « à la papa » (filmer occidentalement « comme avant » est-il encore possible à la sortie de la seconde guerre mondiale, après la Shoah ? la même question traverse les autres arts plastiques depuis la fin de la première guerre mondiale).

La Nouvelle Vague

http://www.cinemafrancais-fle.com/Histoire_cine/nouvelle_vague.php

http://www.telerama.fr/cinema/lumiere-sur-la-nouvelle-vague, 48076.php

Le terme a été inventé par la journaliste Françoise Giroud pour nommer une génération de jeunes cinéastes à la fin des années 50 : Jean-Luc Godard, mais aussi François Truffaut, Eric Rohmer, Claude Chabrol… Il n’y a pas « un » style Nouvelle Vague, mais une commune volonté chez ces jeunes réalisateurs de rompre avec une forme d’académisme cinématographique.

Pierrot le Fou

Pierrot le Fou, sorti en 1965, est le film le plus représentatif de sa première période.

Ferdinand Griffon quitte femme (de bonne famille) et enfants pour un road-movie délinquant avec Marianne Renoir. Au bout de la course, il est largué, la tue, décide de se suicider en s’encagoulant d’explosif, change d’avis,  mais trop tard…

Jean-Luc Godard a résumé le film en reprenant les titres de ses films précédents :

UN PETIT SOLDAT QUI DECOUVRE AVEC MEPRIS QUʹIL FAUT VIVRE SA VIE,
QUʹ UNE FEMME EST UNE FEMME, ET QUE DANS UN MONDE NOUVEAU, IL
FAUT  FAIRE  BANDE  A  PART  POUR  NE  PAS  SE  RETROUVER  A  BOUT  DE SOUFFLE.

Quelques points d’attention :

  • La présence de la peinture dès l’ouverture du film par la lecture d’une page d’Elie Faure consacrée à Velasquez
  • La construction éclatée du film par le recours aux collages, raccourcis, ruptures, citations. Godard intègre dans le cinéma la rupture moderniste des arts plastiques au début du 20ème siècle (cubisme, dadaïsme, simultanéisme, etc).
  • Film d’une génération confrontée à l’essor de la société de consommation : celle de cette jeunesse désœuvrée (« J’sais pas quoi faire ») en rupture qui se révoltera et rompra avec la tradition bourgeoise quelques années plus tard en Mai 68
  • Un cinéma littéraire : on ne compte pas chez Godard les références à la littérature, pas seulement aux arts plastiques. D’une façon générale, son cinéma est fort verbal
  • Un thème éternel : l’amour impossible, la femme fatale, la naïveté candide

Documents web

Un dossier : pierrot-le-fou-godard

Un autre dossier pédagogique

Une analyse

Les scènes cultes d’Anne-Lucie

Jean-Luc Godard évoque le film

Louis Aragon parle de la technique de collage chez Godard. Comme chez Braque, Picasso, Schwitters qui, avec des éléments tirés de la réalité concrète, cherchent à créer un effet de réel dans leur œuvre :

Un cours sur Godard (à partir de la trentième minute sur Pierrot le Fou)

 

Velasquez en ouverture

(Ferdinand lit une page de L’histoire de l’art d’Élie Faure)

« — Velasquez, après cinquante ans ne peignait plus jamais une chose définie, il errait autour des objets avec l’air et le crépuscule, il surprenait dans l’ombre et la transparence des fonds les palpitations colorées dont il faisait le centre invisible de sa symphonie silencieuse. Il ne saisissait plus dans le monde que les échanges mystérieux qui font pénétrer les uns dans les autres les formes et les tons par un progrès secret et continu dont aucun heurt, aucun sursaut ne dénonce ou n’interrompt la marche.

L’espace règne. C’est comme une onde aérienne qui glisse sur les surfaces, s’imprègne de leur émanation visible pour les définir et les modeler et emporter partout ailleurs comme un parfum, comme un écho d’elle, qu’elle disperse sur toute l’étendue environnante en poussière… impondérable.

C’est beau ça, hein p’tite fille ?

Le monde où il vivait était triste : un roi dégénéré, des infants malades, des idiots, des nains, des infirmes, quelques pitres monstrueux vêtus en Princes, qui avaient pour fonction de rire d’eux même et d’en faire rire des êtres hors-la-loi vivante, étreints par l’étiquette, le complot, le mensonge. Liés par la confession et le remord. Aux portes, l’autodafé… le silence.

Ecoute ça…

Un esprit nostalgique flotte, mais on ne voit ni la laideur ni la tristesse ni le sens funèbre et cruel de cette enfance écrasée.
Velasquez est le peintre des soirs, de l’étendue, et du silence. Même lorsqu’il peint en plein jour, même quand il peint dans une pièce close, même quand la guerre ou la chasse hurle autour de lui.

Comme il ne sortait guère aux heures de la journée où l’air est brûlant, où le soleil éteint tout, ces peintres espagnoles communiaient avec les soirées… »

Diego Velasquez, Les Menines (1656)

Ferdinand lit un extrait de Guignol’s band, un roman de Louis-Ferdinand Céline

Le script de Jean-Luc Godart :

« Je suis de feu !. .. Je suis lumière !. .. Je suis miracle !. .. (il marche le long de la branche, puis du tronc. Un panoramique droite pour le suivre découvre derrière lui le ciel bleu et la mer.) Je n’entends plus rien !. .. Je m ‘élève !. .. (il prend son élan et grimpe sur la masse de terre soulevée dans les racines.) Je passe dans les airs !… Ah ! c’est trop !. .. J ‘ai vu le bonheur devant moi … émotion surnaturelle !. .. » (il saute à terre (suite du panoramique) et tombe sur le chemin devant Marianne, qui croque une pomme, un pain sous le bras. Elle s’arrête (début musique). Il tourne autour d’elle, le livre à ta main. Lisant.) « Et puis je ne sais plus rien… J’avance un petit peu les mains… (il lève la main vers elle, et la caresse.) J ‘ose … vers la droite !. .. je touche, j’effleure les cheveux de ma fée !. .. (il lui caresse les cheveux.) de la merveille adorée… Virginia !. ..  Marianne, qui s’est prêtée au jeu avec indifférence, semble s’impatienter. Elle regarde la couverture du livre. MARIANNE (ironique). « Guignol’ s Band 11 !… Tu viens ? Elle s’en va de dos. Il la suit et continue à déclamer. On les reprend en plan d’ensemble arrivant sur un sentier au milieu des fourrés. Travelling latéral pour les suivre. La caméra passe devant eux, puis, un panoramique à drone les suit de dos se dirigeant vers une table et un banc de bois adossés au mur de leur maison. En fond, ta mer. Il continue à lire : FERDINAND. « Parfait bonheur !… Ah ! je me trouvais en émerveillement si intense que je n ‘osais plus remuer… ému… heureux jusqu’aux larmes… (sans l’écouter, elle pose ses affaires sur la table et pénètre à droite dans la maison par une porte-fenêtre , aux volets rouges. Il s’assied entre le perroquet qui crie et un fennec apprivoisé sur la table. ) transi  de bonheur … Je palpite … palpite …


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Des répliques du film qui donnent à penser
(Un article sur Godard « cinéaste-écrivain »)
La page de Louis-Ferdinand Céline lue par Ferdinand –  version en police 14Version Word